1976: rouflaquettes rouquines, velours à côtes trop serré et lunettes à la
Hutchinson, Jackie Gominbeau, surnommé Jackie 06 suite à son arrivée
tonitruante sur la CB dans les Alpes Maritimes en 1985, épouse celle qui
deviendra la “daronne” de ses 3 grands gaillards, Monique Durand.
Rencontrés sur le haut-lieu de la foire aux célibataires (le bal de la St Vincent tournante, au fin fond des vignes de Bourgogne) Jackie et Bobonne s’entendent à tout point de vue. Duo infernal et emblématique de la beauf attitude, leurs allée et venues dans le village sont un véritable one couple show. En fin de semaine, leur itinéraire est réglé comme du papier à musique: pendant qu’il part s’en jeter un p’tit derrière la cravate au PMU Bar des Sports du coin, elle traînasse ses pieds enflés jusqu’aux genoux dans les corridors colorés de la supérette, à l’affût de la satanée promo qui va lui rapporter 2 points sur sa carte de fidélité et lui faire économiser 1€ à condition d’acheter 4 litres de shampoing aux œufs. Heureusement, au bout de 2500 points, elle aura 5% de réduc sur les démêlants capillaires…
Il faut dire qu’elle a le sens des économies la Monique. Depuis qu’elle s’est entièrement dédiée à nourrir sa progéniture, elle ne compte que sur le futur gain aux courses de son Jackie, qui s’est aussi promis, entre deux blanc-cassis, que s’il était président un jour “il te remettrait de l’ordre dans le pays à coups de fusils.” Vaste programme…
Monique, c’est la parfaite ménagère
de plus de 50 ans: la vache à lait convoitée des publicitaires, la moutonne qui
suit son troupeau en applaudissant, même pour se jeter dans la gueule du loup.
Suspendue à la voie soporifique du présentateur du télé-achat, elle attaque sa
grosse journée en commandant à crédit les derniers produits qui lui feront
perdre 10 kg en un mois, même en se gavant de pâte à tartiner. Téléphage,
radiophage, presse peopleophage, elle s’empiffre au quotidien de tous les
ramassis de faits divers qui concernent les gens comme elle: les gens normaux.
D’ailleurs elle a aussi cru que le président était comme elle…
Sa seule lecture c’est Gala, et ça
la rassure la Monique de voir la photo dérobée d’une Eva Longoria dénudée où
l’on discerne une petite couche de cellulite, ça la rendrait presque sympa…
Mais Mme Beauf ne supporte personne, même pas son ombre. Grande bavarde parmi les commères, elle colporte sans limites les ragots du quartier, visiblement plus intéressée par la vie des autres que par la sienne. Les querelles de voisinages vont bon train, d’insultes en coups bas, de haines en diffamations crapuleuses. Et ça elle adore. Une vie sans personne à détester, c’est vraiment pas une vie ! Ses méthodes d’éducation relèvent presque de l’élevage agricole: les gosses doivent bien manger, c’est primordial. Le reste, ils l’apprendront bien un jour, à moins que l’école ne s’en charge.
Pourtant elle les aime ses mouflards: portraits crachés de leur géniteur, ils lui rappellent le bon vieux temps où son Jackie affichait 22 kg de moins, à l’époque où il regagnait la baraque à pieds en sortant de son rade situé à 300 mètres.
Aujourd’hui quand il rentre du bistrot, elle ignore si c’est lui qui ramène la mobylette ou l’inverse. Jackie c’est une sorte de version trash du Prince Charmant: ventripotent de houblon, un râtelier à décapsuler les cannettes de bière, un vieux mégot jauni de Gitane maïs au coin des lèvres, un vrai rempart contre le désir. Employé dans une usine de soudures, il est devenu CGTiste intégriste pour se protéger de celui qu’il considère comme un voleur fainéant: son enfoiré de patron. Toujours premier dans les manifs, c’est le chef monteur officiel du barbecue à merguez pour tous les jours de grève. Le cheveu englué à la brillantine, le regard tellement bovin qu’on y voit passer tout un train, Mr Beauf n’a pas seulement un physique atypique. Son mode de raisonnement est aussi étriqué que le Damart qu’il porte depuis 25 ans. Engoncé dans ses petites manies, il s’attribue tout: c’est sa grille de loto, dans son café où il va picoler sa pression. Et comme il est dans son pays, il renverrait bien tous ceux qui n’y sont pas nés pour éviter d’en avoir peur. Tout ce qui diffère de sa petite existence l’effraie; d’ailleurs il évolue depuis 60 ans dans un rayon de 40km. Au -delà c’est la ville et ils sont tous fous là-bas.
Le Jackie est catégorique mais n’a pas les idées claires: il redoute d’attraper la Mongolie, regrette de ne pas avoir passé son BCG, pense qu’Al Capone est une sorte de pizza . Il fait les présentations de ses amis en “bon uniforme”, porte son marcel Johnny Hallyday les jours de fête et dégaine un briquet qui fait pouet avec une nana à poils quand il allume sa clope. Il est éberlué devant la météo dont il adore parler, et la plupart de ses sujets de conversation sont à la hauteur du comptoir auquel il s’accoude pour s’envoyer l’équivalent d’un pack de 6.
Mr et Mme Beauf sont majeurs et vaccinés, ont le droit de voter, de se marier, de faire plein d’enfants, d’en adopter aussi.
A bon entendeur…