vendredi 4 octobre 2013

ÉMOIS ET MOI

Suis moi je te fuis...fuis moi, je te suis. 
Chacun connaît l'adage, 
qui lorsqu'il ne dure que trop, nous conduit au naufrage.

Homo Sapiens Sapiens, maîtrisez vos émois quand l'attirance fait rage 
en acceptant le risque qu'un mot doux engage.

N'avez -vous point de gène à décrier vos haines? 
N'osez-vous jamais dire qui vous ne supportez pas?
Voyez donc le non-sens du sens de vos audaces, 
à crier haut et fort tout ce qui vous tracasse, 
à faire de la réclame du moindre de vos sarcasmes.
Vous n'êtes jamais avares de moqueries, d'ironie. 
Mais où passez-vous donc quand il n'en point s'agit? 
Où passe votre éloquence à vous, grands prétendants, 
quand soudain l'heure s'attarde sur d'autres sentiments?

L'engagement effrayant est une chose explicable, 
mais l'amour que vous faites est un gage indéniable. 
Un gage de vos désirs et de vos sentiments, 
pas pour la vie entière mais seulement à l'instant.
Pourquoi tant de clôtures à votre véhémence? 
Débridez cette corde étouffant vos soupirs, 
allez jusqu'au verbiage de vos moindres désirs.
Les mots dans cet effort sauront guider vos pas
 vers une clareté perdue, 
vous n'en reviendrez pas.

N'ayez crainte du passé, ni même de vous tromper. Fermez les yeux maintenant :croyez ce que vous sentez.

lundi 9 septembre 2013

Macaronis

Ils sont noirs et ils sont longs. Ils remontent en dédales soignés le long de sa nuque et terminent leur course sinueuse sous une broche qu'elle attache chaque matin depuis 80 ans.
Un siècle et demi de minutie, mains relevées au-dessus des oreilles, à entrelacer la jungle d'une chevelure indemne malgré les années. On la repère  à ce chignon sculptural qui témoigne de sa présence sur certains clichés de l'album de famille.

Elle vient de loin, mais pas en kilomètres. Elle vient du haut de la botte vers la Méditerranée, du fond des âges pour sa mentalité; elle vient d'ailleurs, de chez les mitrailleurs pour ceux qui la voient débarquer. Son nom c'est Migliorini. Elle vient de fuir le régime de Mussolini. Pour les villageois du coin ce sera "Macaroni".

Bien qu'éduquée dans la culpabilité du christianisme, elle brave l'autorité familiale et l'honneur local en s'éprenant d'un homme de 10 ans son aîné. Elle a 16 ans et elle est déterminée. C'est une guerrière du cœur, une future Mamma comme ils disent là-bas. Elle construit sa propre famille au nom du seul amour, défiant qui que ce soit- même le despote- d'y porter atteinte un jour. Cette fougue inébranlable la poussera dehors, au-delà des frontières du seul langage qu'elle maîtrisait alors. La quête d'un avenir admissible la conduira en terre bourguignonne.

Mon premier souvenir d'elle remonte à ma petite enfance, quand j'entendais mes tantes annoncer son arrivée. Chaque année et pendant 6 mois, elle abandonnait ses montagnes de Toscane pour regagner la France où ses nombreux descendants l'attendaient avec impatience.
Dès que j'entendais rouler les "r" et les cascades de rires qui dévalaient les murs, dès que j'apercevais cette silhouette immense toujours élégante, je m'enivrais d'avance des effluves exotiques que j'allais respirer.
Ses récits exhalaient les senteurs de l'ailleurs. Soudainement je n'étais plus seulement française; soudainement elle parlait un étranger qui m'était familier. Sans le savoir, elle incendiait la flamme qui me ferait brûler: brûler de vie, brûler d'envies, brûler d'envie de voyager.

Elle m'ouvrit les yeux et élargit mon esprit, forgea le socle de mes valeurs et m'insuffla le secret du bonheur. 

Je l'appelais la Nonna, elle s'appelait Natalina. C'était mon arrière grand-mère, la plus grande de toutes les guerrières.

vendredi 7 juin 2013

RENCONTRE DU 3ème CLIC


       23H30: nouveau coup de fil. Elle jubile: il est charismatique, spontané, sur la même longueur d'ondes qu'elle, et ça elle le sentait depuis son premier email. C'est devenu une véritable ambassadrice, chargée des relations publiques des sites de rencontres virtuels. Je ne compte plus celles et ceux qui me vantent leurs mérites: "tu comprends c'est tellement ludique et dans l'air du temps..."
En dépit de mon scepticisme, le constat est formel: le nombre de satisfaits augmente. Je trouve ça étrange, étonnant, voire détonnant lorsque j'entends certains récits. Je décide alors d'enquêter, de repérer le terrain avant d'avoir un avis.
Rencontre du 3ème clic: j'ai testé pour vous !

   Partant du postulat que le monde est constitué d'environ 3 fois plus de femmes que d'hommes, que les premières ne se font pas toujours approcher par la meilleure frange des seconds, j'imaginais déjà le carnage poindre à l'horizon. Sachant que l'expérience avait ceci de grisant qu'elle m'avait conduite à coller ma main dans la gueule d'un lion de mer et à croquer dans l'escarcelle d'une sauterelle grillée, je n'allais sûrement pas reculer devant une simple URL. D'autant que je serais certaine cette fois de ne pas me frotter à des insectes répugnants et ne devrais croiser, de l'espèce animale, que les spécimens civilisés.

Première étape: inscription.
Après moult allers-retours sur la toile, je repère un support qui propose de répondre à un test de personnalité. La moulinette à petits tiroirs me décrit comme extravertie, preneuse de risques et non matérialiste. Je remplis ensuite un profil type sans photo, indiquant poids, taille, et un pseudo qui ne veut rien dire. 5 jours plus tard: 152 demandes de contacts supposés correspondre à cette "fiche technique". Bienvenue au bidoche-shop: si ce n’est mon plumage qui attise la curiosité, c’est bien mon grammage qui semble être bankable... suis-je censée m'en sentir flattée? 

Même en ayant anticipé la claque, je reste éberluée: d'abord par le volume des messages qui laisse supposer l'empressement, l'espoir- ou le désespoir- des membres inscrits, ensuite par leur contenu.

Seconde étape: découverte de la Plèbe
Non seulement l'animal sauvage est présent, mais certains spécimen montrent déjà les dents. Quant aux nuisibles, ils pullulent.  De l'affamé un peu scout, genre "toujours prêt" ou prêt à tout, au militaire tyrannique annonçant sa liste d'exigences, je me demande si l'échantillon est représentatif de la population masculine disponible. A chaque nouveau message, je m’engouffre dans les cavités de la e-dépression ou de la surenchère.

         "Alors si tu es partante pour une pure nuit de plaisir, je te propose de nous retrouver à telle adresse, etc". Pseudo: richard-djirrrr.  
Décodage : panoplie du persuadé d’être un Dieu au pieu, champion du monde des 5 à 7 à l’arrache dans le Formule 1 du coin. Bilan : pas cliente.

         "Veuf, père de 2 enfants, recherche personne aimante pour retrouver goût à la vie"... Comme une envie de demander où se trouve le gaz, je ressens soudainement cette impression de suicide collectif dans cet endroit virtuel visiblement devenu quartier général des relégués au solitariat-mal vécu. Monsieur , pour la psychologie, c’est le site d’à côté…

Après avoir lu 50% des messages, l’idée de prendre le drapeau blanc m’effleure ; mais je ne veux pas abdiquer prématurément. Alors, je scrute : je commence à lire les descriptifs. Ils me feraient presque passer du rire jaune à l’empathie, de la surprise  à l’évidence. 
Petits portraits :

       -Le monomaniaque écolo: il refuse d'intégrer le mode de consommation de masse, et s'est forgé une conscience environnementale à la démesure de son intolérance. Plus de second degré ni d'humour pour ce forçat de la green attitude, même en matière de séduction. Il distribue ses leçons de vie à tour de bras en t'expliquant que même si tu bosses à 30 bornes tu devrais y aller en vélo.
Dis-moi Géant Vert: et les nanas, tu les choisis en mode nature aussi? Si j'arrête de m'épiler, que je me maquille de pigments naturels envoyés à coups de truelle j'ai une chance d'attiser tes convoitises ou bien?

       -Le libertin exhibo 
Après avoir tout construit comme papa et maman le voulaient, un jour il a fait péter tous ses principes. Marié, 1 enfant virgule 6, ne quittera jamais sa femme, mais voudrait s’envoyer en l’air avec plein d’autres nanas parce qu’il sait qu’il plaît. Sa photo, c’est une partie de son omoplate hyper-développée, qui pue la protéine à pleins naseaux. Sur la suivante, il pause devant une voiture de sport. Prototype du bodybuildé qui se prend en photo tout seul, recherchant une nana contemplative qui l’admirera autant que lui-même, juste le temps de se rhabiller.

       - L’intello relou 
Adepte du « moi je lis beaucoup », mais je n’ai pas appris grand-chose. Il étale des noms d’auteurs serbo-croates, et je parierais qu’il a punaisé dans son salon la liste des expos les plus stratosphériques pour se démarquer de la populace. Pour lui ce qui est populaire, c’est la nourriture du quidam qu’il a été plus jeune et qu’il a passé le reste de sa vie à renier. Rien que de lire ses listings, j’imagine déjà la conversation hermétique ponctuée de « ah bon tu ne connais pas Daninovitch Potkanov ? C’est diiingue »  

       -L’obsessionnel compulsif 
Celui-là il est flippant. Quand il jette son dévolu sur sa cible, il la traque sans limites. Le moindre indice dévoilé dans un échange est utilisé à des fins investigatrices. Il te googlise dans tous les sens, tente des mots-clés à rallonge jusqu’à ce que ton satané profil Viadeo ou LinkedIn remonte à la surface. Mais toi tu as un accès premium, et tu débusques ce gros malin de Sherlock Holmes en pleine enquête…


Résignée, je rappelle ma pote : « C'est pas possible. Le principe m’échappe : en gros on te demande de payer pour être contactée par les mêmes abrutis que ceux que tu croises gratos tous les jours... ». Et là, elle me scie les jambes : «Mais essaie un autre support. Moi je suis ravie ; si tu regardes bien , Christian m’a coûté 60€ et je suis restée avec pendant 6 mois »… Ah ok, c’est du leasing, j’avais pas vu ça comme ça !
Alors je me demande quelle est la température de l’autre côté de la Lune : je contacte mon vieux pote Raoul, qui me raconte ses aventures virtuo-sexuelles avec les inscrites, dont la plus belle est quand même celle de Christa75 qui l’a harcelé pendant des jours en le suppliant de bien vouloir venir la violer dans le parking de la Défense. On ignore encore si l’option comprenait le dépôt de plainte ou pas !

Verdict au premier acte: le 3ème clic ce n’est pas mon truc. Quitte à être déçue, autant que ce soit dans le monde réel. Acte 2 je vous prie!

lundi 8 avril 2013

Wonder Woman is dead; Superman ne vole plus

       On l’imagine depuis des siècles. On l’entend depuis là : le destrier galopant à travers les collines, crinière au vent et poitrail en avant, volontaire et racé, fière monture du Prince communément nommé Charmant. Dans les contes, le preux chevalier a les cheveux longs, arbore une tenue sophistiquée cousue dans de soyeuses étoffes et rehaussée de pierres précieuses…
On y raconte qu’il est idéal: bien éduqué, de bonne famille, bienveillant, en quête d’une princesse parfaite qui épouserait à la foi l’homme et la position sociale et qui de surcroît lui donnerait un héritier. C’est un bâtisseur: plein de devoirs devant lesquels il ne saurait renoncer, avec la lourde tâche de conduire un royaume entier dans un avenir serein. Il est vaillant, toujours sur le qui-vive, à l’affût du moindre signe menaçant ses sujets.

       Mais ça, c’était avant… Avant l’ère industrielle, avant la révolution sociale, avant la course à la conso, avant que les femmes ne portent des pantalons, avant que les hommes ne soient sous pression, bref: avant quoi.

Aujourd’hui le mustang a 2 ou 4 roues et part en cavale sans destination finale. A son bord désorienté, le pilote a le vague à l’âme et juste une vague idée de sa destinée.
Les collines ont revêtu leurs habits de bitume, l’ambiance tout en douceur glisse vers l’amertume.
A l’horizon : des courtisanes, mais point de gentes dames…
Le prince n’est plus prince, le charme est rompu: il n’est plus opérationnel.
Vidé, le cœurdesséché par le royaume devenu société, il baisse les bras. Réfugié dans son habitacle, il se fait croire qu’il est toujours puissant, que son sort est enviable et que la vie est belle tant qu’il reste planqué. Tant qu’il reste en surface, tant qu’il porte son masque.
Les machos ne sont plus les bienvenus, décrédibilisés par autant de féminisme agressif ; les romantiques non plus: les temps sont à l’efficacité. Tout doit être impeccable: la plastique qu’elle soit parfaite ou bien refaite, l’humeur au beau fixe, même si sous le sourire ce n’est pas l’auguste qui transpire. Tout est soumis à la politique du zéro absolu, le zéro risque- zéro souci. Pour le zéro défaut, il s’occupe de ses abdos; il soulève des poids en suant sang et eau, histoire qu’en quelques heures, il ait l’impression d’alléger son fardeau.

       Mais qu’avons-nous fait de Superman, qui se battait pour ses idéaux, qui savait précisément mesurer, de ses gestes la portée, et de ses dires anticiper ? Où sont passés les performers de cette vie, emportés par leur passion dévorante qui les menait à construire ?
Pourtant il fut un temps où le péril n’était que celui de périr, pas celui de survivre.

        Au royaume des princesses, le ciel n’est pas plus clément. Le désespoir fait rage.
L’apogée de l’égalité, la lutte pour la liberté les ont conduites à enfiler la tenue de Wonder Woman. Seulement voilà: la tiare au quotidien n’est pas pratique à porter, la gaine moulante non plus. Et les superpouvoirs: ils sont obtenus aux forceps.
Chaque nouvelle journée s’annonce comme une guérilla de la logistique, de l’assistance à toute épreuve, de la résistance au laisser-aller.

Wonder Woman au réveil, c’est un peu comme si l’on ne voyait que le halo lunaire, mais pas la lune elle-même. Embrumée par les questions, elle traîne sa cargaison de pensées dans les méandres de sa maison, qu’elle ne cesse d’organiser.
Elle se tartine de crèmes veloutées aux mille anti-effets: anti-ride, anti-déssèchement, anti-taches, anti-affaissement…
Chaque aurore voit la reconstruction de sa forteresse contre le désamour, le hasbeenisme et ce putain de temps. Maudit soit-il, ce temps qui défile. A chaque mouvement de grande aiguille, l’horloge sonne un peu plus le glas de la désirabilité. Ah tiens, elle a même oublié de s’épiler.
Sexy, gracieuse, besogneuse et structurée, la super-héroïne court après la perfection. C’est le règne du light, la tyrannie du hype. Le pire, c’est qu’elle s’est racontée que c’était un choix délibéré.

    Ce qu’on oublie avec les Comics, c’est que les super-héros de toutes pièces ont été inventés. L’humain dans son imperfection détient l’art de rendre belles toutes formes d’aspérités.
Et quoi que la bien-pensante société nous impose, aimer l’humain comme il est né est la plus importante des choses.

samedi 23 mars 2013

PLUS GRAND QUE LA PEUR

       Mère Thérèsa disait que le plus grand obstacle dans la vie était la peur; elle seule était capable de nous freiner dans nos élans, voire même de nous empêcher d’avancer. Le pessimisme, la rationalisation de tout conduit souvent à émettre l’hypothèse que nos projets ou nos désirs les plus chers ne sont pas réalistes, donc pas réalisables.

Pourtant quand on interroge un artiste on réalise que ce qui le différencie du commun des mortels, c’est la foi qu’il met dans son œuvre. La transe du musicien plongé dans sa rythmique, les mains de l’artisan qui rendent la légèreté au chêne massif, l’instinct du danseur dont le corps embrasse la musique, me poussent à croire qu’ils ont dû, à un moment de leur vie, combattre leur peur de l’échec pour en sortir vainqueurs. Ils savaient avant tout le monde que c’était leur voie; que personne n’y croirait pour eux.

Pour certains, c’est arrivé au plus jeune âge. Ils ont rencontré l’art très tôt, écoutant leur petite voix intérieure qui leur disait d’aller répandre leur vision du monde, leur vibration personnelle, basée sur le plaisir. Le plaisir de créer pour eux, le plaisir de ressentir pour les autres.

Qui n’a pas voulu se damner pour une saveur amoureusement préparée par un magnat de la gastronomie? Qui n’a pas voulu arrêter le temps sur une mélodie qui a ce don de tout faire disparaître autour de soi?

Lorsque mon esprit s’engloutit dans l’Alchimiste, je découvre une manière tellement unique d’appréhender la vie que mon inconscient en garde une empreinte indélébile. Impossible de sortir indemne d’une telle œuvre, sa justesse en est déroutante. Inévitablement, j’en ressors transformée. Quand j’arrive à ressentir la chaleur, puis les grains de sable gravillonnant sous les pieds des Touaregs, le cliché de McCurry me transporte au fin fond des dunes de Mauritanie. Et je me mets à voyager. Pourtant, c’est immobile. Mais lui ne se dissimule pas derrière son objectif. Il est devenu l’extension de son œil, aussi précis que l’instant saisi. Il donne de la perspective sur un support en deux dimensions, du mouvement sur une image fixe, du relief sur un papier lisse. Et l’admirateur décolle.

Quand mon regard ne peut se détourner de la toile qu’un ami m’a offerte, que mes lèvres sont scellées devant ce fusain poète qui suit les courbes d’un nu dont on ressent le frissonnement, je découvre la beauté à travers les yeux d’une personne qui se dévoile au fil du trait. Comme une porte entrebâillée sur son âme, il me laisse entrevoir sa réalité. Sa réalité émotionnelle. Il n’est plus question de plonger mes yeux dans son regard, mais de regarder à travers les siens.

       Alors je me demande si cette petite fissure sur l’intime émotion, cette faille délicatement visible aux yeux de tous n’est pas la clé de la serrure qui enfermerait la peur pour de bon. Ils ont pris le risque de laisser entrer les autres, tous les autres sans les sélectionner, dans la plus sincère partie de leur être. Ils ont dévoilé leur essence même, sans tricher. C’est peut-être ça, elle est peut-être là, la clé.

jeudi 7 mars 2013

BETON FATAL


          Mon premier se lève autour de 16H du mat - Mon second est fan de Diam’s - Mon dernier kiffe les meufs de sa téci, surtout quand elles baissent les yeux… T’as trouvé t’as vu? Ben c’est le Wesh t’as vu…
Animal urbain par excellence, le Wesh se retrouve complètement largué dès qu’il évolue dans moins de 2km² de bitume. Si vous lui parlez de pelouse, il pensera épilation du maillot; si vous lui parlez d’herbe, il vous en vendra…

         Comme le rat des villes, il vagabonde aux heures sombres entre les tours de son quartier, chancelant à moitié sous les décombres d’une pile de survêtements XXL anarchiquement superposés: le caleçon au-dessus du pantalon, les chaussettes aussi… Dit comme ça, on ne comprend pas bien l’utilité mais il s’agirait d’une astuce pour exposer les logos de ses marques favorites, parmi lesquelles le célèbre croco de Lacoste, qui lorsqu’il est contrefait ressemble davantage à un triton qu’à un caïman, mais bon les goûts, les couleurs… A cela il ajoute 3 mètres carrés de capuche, équipement essentiel en cas de descente de keufs, ou de drague de meufs quand ça finit mal.

         D’un mur à l’autre il déploie sa démarche dégingandée de grand spécialiste du glandage: comme si ses bras étaient devenus trop longs pour être balancés naturellement, il les garde rigides et droits pendant qu’il laisse ses jambes désarticulées lui faire onduler le bassin. En somme le wesh roule du boule, mais chut le Wesh est trop vénère, c’est un grand susceptible. Planqué derrière une intention partagée entre l’affront et la crainte de croiser plus fort que lui, il tente d’impressionner en élevant ses pupilles juste au-dessous de ses sourcils… chez le commun des mortels l’attitude juvénile ici décrite frôle le ridicule, mais le jeune Wesh Bien fait un peu ce qu’il peut pour combler le vide insondable qui subsiste dans son regard. On dit parfois que ce dernier est le reflet de l’âme; dans son cas à lui, c’est un peu le miroir du néant, la fameuse preuve que l’antimatière récemment découverte par les astrophysiciens existe bien.

En grand poète des temps modernes, le Wesh s’invente toujours un blaze qui déchire sa race , pour rejoindre le tableau des grands noms du quartier qui sont sortis de la MJC en sachant écrire du slam. Ah les keums de sa bande: il les kiffe grave, c’est pas des bouffons. Oui le Wesh vit en meute, ça le rassure. Très territorial, la seule différence avec l’animal est qu’il ne pisse pas encore sur tous les trottoirs du quartier pour en délimiter le périmètre, quoique… Son instinct de propriété est particulièrement développé: pour preuve il monte la garde de chaque hall d’immeuble avec beaucoup de zèle, prêt à mordre le premier passant qui oserait le frôler de trop prêt.
Le Wesh n’est pas méchant tant qu’il est isolé; en revanche un cheptel de wesh est bien plus compliqué à gérer. Comme le gnou pendant ses grandes migrations dans les plaines africaines, un déplacement de troupeau de Wesh peut être dangereux, même pour les individus qui le composent: ça se piétine, ça se marche dessus, ça se pousse, et c’est même capable de retourner un tir de grenaille contre son propre camp…l’effet de la panique sans doute, mais rappelons qu’ici les seuls alligators à leur poursuite sont cousus sur les polos du clan adverse! Pas toujours facile la réflexion collective quand le nombre de connexions cérébrales se comptent sur les doigts d’une main.

Son hobby à notre petit bandit c’est la provoc: l’attaque en bande, de préférence par derrière, d’une personne seule et bonus supplémentaire si elle est sexagénaire! Le courage c’est pour les autres; lui il veut tout, tout de suite et sans efforts; de toutes façons il en a “rin à fout” de maraver la mère-grand tant qu’y a un truc à tégra dans son cabas. Quand il ne se défoule pas sur le 3ème âge, notre ami est pris d’assaut par ses hormones et se met à assommer les filles du patio à grands coups de “z’y va cousine, fais pas ta chienne, envoie ton 06″, se traduisant en langue commune par “mademoiselle permettez-moi de vous saluer, je vous trouve particulièrement séduisante”… Un peu comme le vol, la drague s’exécute à la tir : je t’arrache un regard de force, je t’ordonne de me dire bonjour, et remercie moi de te trouver à mon goût…

      Il faut dire que le pauvre petit fripon s’est un peu élevé tout seul dans le labyrinthe bétonné de son fief entre les caves, les cages d’ascenseurs et les toits des bâtiments. Embarqué dès son plus jeune âge pour assurer la chouffe afin d’aider les plus grands dans leurs trafics illicites, le chenapan s’est rapidement pris pour un gangster. En réalité chacun sait qu’en rentrant au bercail, il baisse encore les yeux devant la fureur de sa mère, la dernière guerrière respectable à ses yeux d’enfant révolté.

jeudi 7 février 2013

JACKIE 06


        1976: rouflaquettes rouquines, velours à côtes trop serré et lunettes à la Hutchinson, Jackie Gominbeau, surnommé Jackie 06 suite à son arrivée tonitruante sur la CB dans les Alpes Maritimes en 1985, épouse celle qui deviendra la “daronne” de ses 3 grands gaillards, Monique Durand.


     Rencontrés sur le haut-lieu de la foire aux célibataires (le bal de la St Vincent tournante, au fin fond des vignes de Bourgogne) Jackie et Bobonne s’entendent à tout point de vue. Duo infernal et emblématique de la beauf attitude, leurs allée et venues dans le village sont un véritable one couple show. En fin de semaine, leur itinéraire est réglé comme du papier à musique: pendant qu’il part s’en jeter un p’tit derrière la cravate au PMU Bar des Sports du coin, elle traînasse ses pieds enflés jusqu’aux genoux dans les corridors colorés de la supérette, à l’affût de la satanée promo qui va lui rapporter 2 points sur sa carte de fidélité et lui faire économiser 1€ à condition d’acheter 4 litres de shampoing aux œufs. Heureusement, au bout de 2500 points, elle aura 5% de réduc sur les démêlants capillaires…

Il faut dire qu’elle a le sens des économies la Monique. Depuis qu’elle s’est entièrement dédiée à nourrir sa progéniture, elle ne compte que sur le futur gain aux courses de son Jackie, qui s’est aussi promis, entre deux blanc-cassis, que s’il était président un jour “il te remettrait de l’ordre dans le pays à coups de fusils.” Vaste programme…

Monique, c’est la parfaite ménagère de plus de 50 ans: la vache à lait convoitée des publicitaires, la moutonne qui suit son troupeau en applaudissant, même pour se jeter dans la gueule du loup. Suspendue à la voie soporifique du présentateur du télé-achat, elle attaque sa grosse journée en commandant à crédit les derniers produits qui lui feront perdre 10 kg en un mois, même en se gavant de pâte à tartiner. Téléphage, radiophage, presse peopleophage, elle s’empiffre au quotidien de tous les ramassis de faits divers qui concernent les gens comme elle: les gens normaux. D’ailleurs elle a aussi cru que le président était comme elle…

Sa seule lecture c’est Gala, et ça la rassure la Monique de voir la photo dérobée d’une Eva Longoria dénudée où l’on discerne une petite couche de cellulite, ça la rendrait presque sympa…

Mais Mme Beauf ne supporte personne, même pas son ombre. Grande bavarde parmi les commères, elle colporte sans limites les ragots du quartier, visiblement plus intéressée par la vie des autres que par la sienne. Les querelles de voisinages vont bon train, d’insultes en coups bas, de haines en diffamations crapuleuses. Et ça elle adore. Une vie sans personne à détester, c’est vraiment pas une vie ! Ses méthodes d’éducation relèvent presque de l’élevage agricole: les gosses doivent bien manger, c’est primordial. Le reste, ils l’apprendront bien un jour, à moins que l’école ne s’en charge.
Pourtant elle les aime ses mouflards: portraits crachés de leur géniteur, ils lui rappellent le bon vieux temps où son Jackie affichait 22 kg de moins, à l’époque où il regagnait la baraque à pieds en sortant de son rade situé à 300 mètres.

Aujourd’hui quand il rentre du bistrot, elle ignore si c’est lui qui ramène la mobylette ou l’inverse. Jackie c’est une sorte de version trash du Prince Charmant: ventripotent de houblon, un râtelier à décapsuler les cannettes de bière, un vieux mégot jauni de Gitane maïs au coin des lèvres, un vrai rempart contre le désir. Employé dans une usine de soudures, il est devenu CGTiste intégriste pour se protéger de celui qu’il considère comme un voleur fainéant: son enfoiré de patron. Toujours premier dans les manifs, c’est le chef monteur officiel du barbecue à merguez pour tous les jours de grève. Le cheveu englué à la brillantine, le regard tellement bovin qu’on y voit passer tout un train, Mr Beauf n’a pas seulement un physique atypique. Son mode de raisonnement est aussi étriqué que le Damart qu’il porte depuis 25 ans. Engoncé dans ses petites manies, il s’attribue tout: c’est sa grille de loto, dans son café où il va picoler sa pression. Et comme il est dans son pays, il renverrait bien tous ceux qui n’y sont pas nés pour éviter d’en avoir peur. Tout ce qui diffère de sa petite existence l’effraie; d’ailleurs il évolue depuis 60 ans dans un rayon de 40km. Au -delà c’est la ville et ils sont tous fous là-bas.

Le Jackie est catégorique mais n’a pas les idées claires: il redoute d’attraper la Mongolie, regrette de ne pas avoir passé son BCG, pense qu’Al Capone est une sorte de pizza . Il fait les présentations de ses amis en “bon uniforme”, porte son marcel Johnny Hallyday les jours de fête et dégaine un briquet qui fait pouet avec une nana à poils quand il allume sa clope. Il est éberlué devant la météo dont il adore parler, et la plupart de ses sujets de conversation sont à la hauteur du comptoir auquel il s’accoude pour s’envoyer l’équivalent d’un pack de 6.

Mr et Mme Beauf sont majeurs et vaccinés, ont le droit de voter, de se marier, de faire plein d’enfants, d’en adopter aussi.

A bon entendeur…