On l’imagine depuis des siècles. On l’entend depuis là : le destrier galopant à travers les collines, crinière au vent et poitrail en avant, volontaire et racé, fière monture du Prince communément nommé Charmant. Dans les contes, le preux chevalier a les cheveux longs, arbore une tenue sophistiquée cousue dans de soyeuses étoffes et rehaussée de pierres précieuses…
On y raconte qu’il est idéal: bien éduqué, de bonne famille, bienveillant, en quête d’une princesse parfaite qui épouserait à la foi l’homme et la position sociale et qui de surcroît lui donnerait un héritier. C’est un bâtisseur: plein de devoirs devant lesquels il ne saurait renoncer, avec la lourde tâche de conduire un royaume entier dans un avenir serein. Il est vaillant, toujours sur le qui-vive, à l’affût du moindre signe menaçant ses sujets.
Mais ça, c’était avant… Avant l’ère industrielle, avant la révolution sociale, avant la course à la conso, avant que les femmes ne portent des pantalons, avant que les hommes ne soient sous pression, bref: avant quoi.
Aujourd’hui le mustang a 2 ou 4 roues et part en cavale sans destination finale. A son bord désorienté, le pilote a le vague à l’âme et juste une vague idée de sa destinée.
Les collines ont revêtu leurs habits de bitume, l’ambiance tout en douceur glisse vers l’amertume.
A l’horizon : des courtisanes, mais point de gentes dames…
Le prince n’est plus prince, le charme est rompu: il n’est plus opérationnel.
Vidé, le cœurdesséché par le royaume devenu société, il baisse les bras. Réfugié dans son habitacle, il se fait croire qu’il est toujours puissant, que son sort est enviable et que la vie est belle tant qu’il reste planqué. Tant qu’il reste en surface, tant qu’il porte son masque.
Les machos ne sont plus les bienvenus, décrédibilisés par autant de féminisme agressif ; les romantiques non plus: les temps sont à l’efficacité. Tout doit être impeccable: la plastique qu’elle soit parfaite ou bien refaite, l’humeur au beau fixe, même si sous le sourire ce n’est pas l’auguste qui transpire. Tout est soumis à la politique du zéro absolu, le zéro risque- zéro souci. Pour le zéro défaut, il s’occupe de ses abdos; il soulève des poids en suant sang et eau, histoire qu’en quelques heures, il ait l’impression d’alléger son fardeau.
Mais qu’avons-nous fait de Superman, qui se battait pour ses idéaux, qui savait précisément mesurer, de ses gestes la portée, et de ses dires anticiper ? Où sont passés les performers de cette vie, emportés par leur passion dévorante qui les menait à construire ?
Pourtant il fut un temps où le péril n’était que celui de périr, pas celui de survivre.
Au royaume des princesses, le ciel n’est pas plus clément. Le désespoir fait rage.
L’apogée de l’égalité, la lutte pour la liberté les ont conduites à enfiler la tenue de Wonder Woman. Seulement voilà: la tiare au quotidien n’est pas pratique à porter, la gaine moulante non plus. Et les superpouvoirs: ils sont obtenus aux forceps.
Chaque nouvelle journée s’annonce comme une guérilla de la logistique, de l’assistance à toute épreuve, de la résistance au laisser-aller.
Wonder Woman au réveil, c’est un peu comme si l’on ne voyait que le halo lunaire, mais pas la lune elle-même. Embrumée par les questions, elle traîne sa cargaison de pensées dans les méandres de sa maison, qu’elle ne cesse d’organiser.
Elle se tartine de crèmes veloutées aux mille anti-effets: anti-ride, anti-déssèchement, anti-taches, anti-affaissement…
Chaque aurore voit la reconstruction de sa forteresse contre le désamour, le hasbeenisme et ce putain de temps. Maudit soit-il, ce temps qui défile. A chaque mouvement de grande aiguille, l’horloge sonne un peu plus le glas de la désirabilité. Ah tiens, elle a même oublié de s’épiler.
Sexy, gracieuse, besogneuse et structurée, la super-héroïne court après la perfection. C’est le règne du light, la tyrannie du hype. Le pire, c’est qu’elle s’est racontée que c’était un choix délibéré.
Ce qu’on oublie avec les Comics, c’est que les super-héros de toutes pièces ont été inventés. L’humain dans son imperfection détient l’art de rendre belles toutes formes d’aspérités.
Et quoi que la bien-pensante société nous impose, aimer l’humain comme il est né est la plus importante des choses.