23H30: nouveau coup de fil. Elle jubile: il est charismatique, spontané, sur la même longueur d'ondes qu'elle, et ça elle le sentait depuis son premier email. C'est devenu une véritable ambassadrice, chargée des relations publiques des sites de rencontres virtuels. Je ne compte plus celles et ceux qui me vantent leurs mérites: "tu comprends c'est tellement ludique et dans l'air du temps..."
En dépit de mon scepticisme, le constat est formel: le nombre de satisfaits augmente. Je trouve ça étrange, étonnant, voire détonnant lorsque j'entends certains récits. Je décide alors d'enquêter, de repérer le terrain avant d'avoir un avis.
Rencontre du 3ème clic: j'ai testé pour vous !
Partant du postulat que le monde est constitué d'environ 3 fois plus de femmes que d'hommes, que les premières ne se font pas toujours approcher par la meilleure frange des seconds, j'imaginais déjà le carnage poindre à l'horizon. Sachant que l'expérience avait ceci de grisant qu'elle m'avait conduite à coller ma main dans la gueule d'un lion de mer et à croquer dans l'escarcelle d'une sauterelle grillée, je n'allais sûrement pas reculer devant une simple URL. D'autant que je serais certaine cette fois de ne pas me frotter à des insectes répugnants et ne devrais croiser, de l'espèce animale, que les spécimens civilisés.
Première étape: inscription.
Après moult allers-retours sur la toile, je repère un support qui propose de répondre à un test de personnalité. La moulinette à petits tiroirs me décrit comme extravertie, preneuse de risques et non matérialiste. Je remplis ensuite un profil type sans photo, indiquant poids, taille, et un pseudo qui ne veut rien dire. 5 jours plus tard: 152 demandes de contacts supposés correspondre à cette "fiche technique". Bienvenue au bidoche-shop: si ce n’est mon plumage qui attise la curiosité, c’est bien mon grammage qui semble être bankable... suis-je censée m'en sentir flattée?
Même en ayant anticipé la claque, je reste éberluée: d'abord par le volume des messages qui laisse supposer l'empressement, l'espoir- ou le désespoir- des membres inscrits, ensuite par leur contenu.
Seconde étape: découverte de la Plèbe
Non seulement l'animal sauvage est présent, mais certains spécimen montrent déjà les dents. Quant aux nuisibles, ils pullulent. De l'affamé un peu scout, genre "toujours prêt" ou prêt à tout, au militaire tyrannique annonçant sa liste d'exigences, je me demande si l'échantillon est représentatif de la population masculine disponible. A chaque nouveau message, je m’engouffre dans les cavités de la e-dépression ou de la surenchère.
"Alors si tu es partante pour une pure nuit de plaisir, je te propose de nous retrouver à telle adresse, etc". Pseudo: richard-djirrrr.
Décodage : panoplie du persuadé d’être un Dieu au pieu, champion du monde des 5 à 7 à l’arrache dans le Formule 1 du coin. Bilan : pas cliente.
"Veuf, père de 2 enfants, recherche personne aimante pour retrouver goût à la vie"... Comme une envie de demander où se trouve le gaz, je ressens soudainement cette impression de suicide collectif dans cet endroit virtuel visiblement devenu quartier général des relégués au solitariat-mal vécu. Monsieur , pour la psychologie, c’est le site d’à côté…
Après avoir lu 50% des messages, l’idée de prendre le drapeau blanc m’effleure ; mais je ne veux pas abdiquer prématurément. Alors, je scrute : je commence à lire les descriptifs. Ils me feraient presque passer du rire jaune à l’empathie, de la surprise à l’évidence.
Petits portraits :
-Le monomaniaque écolo: il refuse d'intégrer le mode de consommation de masse, et s'est forgé une conscience environnementale à la démesure de son intolérance. Plus de second degré ni d'humour pour ce forçat de la green attitude, même en matière de séduction. Il distribue ses leçons de vie à tour de bras en t'expliquant que même si tu bosses à 30 bornes tu devrais y aller en vélo.
Dis-moi Géant Vert: et les nanas, tu les choisis en mode nature aussi? Si j'arrête de m'épiler, que je me maquille de pigments naturels envoyés à coups de truelle j'ai une chance d'attiser tes convoitises ou bien?
-Le libertin exhibo
Après avoir tout construit comme papa et maman le voulaient, un jour il a fait péter tous ses principes. Marié, 1 enfant virgule 6, ne quittera jamais sa femme, mais voudrait s’envoyer en l’air avec plein d’autres nanas parce qu’il sait qu’il plaît. Sa photo, c’est une partie de son omoplate hyper-développée, qui pue la protéine à pleins naseaux. Sur la suivante, il pause devant une voiture de sport. Prototype du bodybuildé qui se prend en photo tout seul, recherchant une nana contemplative qui l’admirera autant que lui-même, juste le temps de se rhabiller.
- L’intello relou
Adepte du « moi je lis beaucoup », mais je n’ai pas appris grand-chose. Il étale des noms d’auteurs serbo-croates, et je parierais qu’il a punaisé dans son salon la liste des expos les plus stratosphériques pour se démarquer de la populace. Pour lui ce qui est populaire, c’est la nourriture du quidam qu’il a été plus jeune et qu’il a passé le reste de sa vie à renier. Rien que de lire ses listings, j’imagine déjà la conversation hermétique ponctuée de « ah bon tu ne connais pas Daninovitch Potkanov ? C’est diiingue »
-L’obsessionnel compulsif
Celui-là il est flippant. Quand il jette son dévolu sur sa cible, il la traque sans limites. Le moindre indice dévoilé dans un échange est utilisé à des fins investigatrices. Il te googlise dans tous les sens, tente des mots-clés à rallonge jusqu’à ce que ton satané profil Viadeo ou LinkedIn remonte à la surface. Mais toi tu as un accès premium, et tu débusques ce gros malin de Sherlock Holmes en pleine enquête…
Résignée, je rappelle ma pote : « C'est pas possible. Le principe m’échappe : en gros on te demande de payer pour être contactée par les mêmes abrutis que ceux que tu croises gratos tous les jours... ». Et là, elle me scie les jambes : «Mais essaie un autre support. Moi je suis ravie ; si tu regardes bien , Christian m’a coûté 60€ et je suis restée avec pendant 6 mois »… Ah ok, c’est du leasing, j’avais pas vu ça comme ça !
Alors je me demande quelle est la température de l’autre côté de la Lune : je contacte mon vieux pote Raoul, qui me raconte ses aventures virtuo-sexuelles avec les inscrites, dont la plus belle est quand même celle de Christa75 qui l’a harcelé pendant des jours en le suppliant de bien vouloir venir la violer dans le parking de la Défense. On ignore encore si l’option comprenait le dépôt de plainte ou pas !
Verdict au premier acte: le 3ème clic ce n’est pas mon truc. Quitte à être déçue, autant que ce soit dans le monde réel. Acte 2 je vous prie!